Une arrestation que nous pouvons appeler « affaire Ferdinand Ayité » fait grand bruit sur la toile. En effet, les journalistes Ferdinand Ayité et de Joël Egah sont actuellement placés en mandat de dépôt à la BRI. Ils sont arrêtés le Week-end dernier pour outrage à l’autorité.
Il s’agit des propos injurieux proférés à l’endroit des ministres Pius Agbetomey et Kodjo Adedze. L’affaire crée des polémiques au sein de l’opinion. Si d’autres légitiment les propos des accusés faisant mention à la liberté d’expression, d’autres y voient un délit de presse mieux encore un outrage.
Notre rédaction partage avec vous l’avis de l’honorable Gerry Taama sur la question. Propos recueillis su sa page Facebook.
« Mise en liberté de Ferdinand Ayité ? Une évidence certes, mais comprendre le droit aussi.
Exercice de pédagogie en ligne.
Demander une mise en liberté de Ferdinand Ayité et de Joël Egah répond pour moi à deux convictions personnelles. La première est que Ferdinand Ayité, comme d’autres journalistes, constitue un des piliers qui soutiennent notre démocratie vacillante. On peut aimer le directeur du journal l’Alternative ou le détester, mais on doit reconnaitre que son opiniâtreté et son enthousiasme font de lui une des sentinelles de la liberté de presse au Togo.
Son engagement est total, et sa vigilance l’emporte souvent sur ses excès, qui existent aussi, comme chez nous tous. Pour cette première raison, je pense que sa mise en liberté est nécessaire, afin que la démocratie continue à balbutier, à défaut de s’exclamer. La seconde raison est qu’au vue de la nature de l’infraction (pour moi un délit d’opinion au lieu d’un délit de presse, j’expliquerai) cette mise en liberté est justifiée.
Informer le peuple
Pour ceux qui savent le droit, c’est à dessein que je parle de mise en liberté (j’expliquerai aussi) car pour un tel délit, un journaliste n’a rien à faire en prison, en compagnie de criminel de sang.
Il me paraitra toujours inique que certaines personnes soient soumises à une détention préventive, pour des délits, en lieu et place d’un maintien en liberté, alors que des criminels économiques, qui ont été responsables de détournements, de pertes d’emploi voire de décès indirects, ne sont pas inquiétés. L’affaire de la route Lomé-Anfoin me reste toujours à travers la gorge.
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Je pourrais bien entendu m’arrêter à cet appel, considérer que j’ai fait mon travail, comme beaucoup d’autres qui, dans une farandole de condamnations les une les plus fermes que les autres, ont participé à la curée médiatique. Mais vous commencez à me connaitre et vous savez que je me contente rarement des apparences. Un député doit aller plus loin et informer le peuple. C’est en partie pour cela qu’il est élu.
Alors, je suis parti à la chasse aux informations. J’ai donné des coups de fils, plongé dans mes cours de droit, consulté nos textes, pour répondre à cette seule et unique question. La dépénalisation du délit de presse a –t-elle été violée dans cette affaire ? Pourquoi un journaliste se retrouve-t-il en prison dans l’exercice de ses fonctions, alors qu’il est supposé être protégé par le code de la presse et de la communication ?
Comme vous le savez, (enfin, certains) la loi n° 2020-001 du 07 janvier 2020 relative au code de la presse et de la communication en République togolaise a été modifiée sous notre législature, et j’ai donc participé à l’adoption cette nouvelle mouture. Le TITRE III – des dispositions pénales, a même été expurgé de toute peine d’emprisonnement potentielle, ne conservant que des peines d’amende. Donc logiquement, aucun journaliste ne devrait se retrouver en prison dans l’exercice de ses fonctions. On est d’accord là-dessus, non ?
Oui, mais, et c’est là où le bât blesse, c’est un peu plus compliqué que ça. Pour comprendre la complication, il faut se référer aux articles 3 et 156 de la loi susmentionnée.
Art 3 : Le présent code exclut de son champ d’application, les activités de production cinématographique. Les réseaux sociaux sont également exclus du champ d’application du présent code, lesquels sont soumis aux dispositions du droit commun.
Art.156 : Tout journaliste, technicien ou auxiliaire des médias, détenteur de la carte de presse, qui a eu recours aux réseaux sociaux comme moyens de communication pour commettre toute infraction prévue dans le présent code, est puni conformément aux dispositions du droit commun.
PREMIER COMMENTAIRE :
Les réseaux sociaux ne sont pas concernés par le code de la presse, et tout journaliste qui s’exprime sur les réseaux sociaux est soumis, en cas d’infraction, au droit commun.
Cette première étape du raisonnement conduit à une seconde interrogation. L’émission l’autre journal, produit par le journal l’alternative, est-elle considérée comme un média ou un réseau social ? Toute l’approche juridique de cette affaire repose sur cette qualification. J’ai échangé avec plusieurs membres de la Haac, qui soutiennent que l’émission n’est pas enregistrée dans leurs registres.
En vérité, d’après ce que j’ai compris, une web-tv, doit disposer d’un site internet identifié pour être enregistré chez eux comme média en ligne. Conformément donc à l’article 3 du code de la presse, toute émission diffusant sur YouTube, considéré comme un média social, ne saurait se faire enregistrer à la Haac. A vous de lire l’article 3 et tirer vos conclusions.
SECOND COMMENTAIRE :
Si l’émission l’autre journal, est une émission diffusée exclusivement sur YouTube, les articles 3 et 156 s’appliquent malheureusement et expliquent donc pourquoi cette affaire est passée au pénal immédiatement, au lieu de transiter par la HAAC comme c’est souvent l’habitude, ou au mieux, de se limiter à une peine d’amende, sans aucun risque de détention pour les journalistes.
Je dois avouer que lors de l’adoption du code de la presse par notre commission en fin d’année 2019, j’avais soulevé un certain nombre d’inquiétudes qui ont été retoquées par le ministre de la communication de l’époque, au motif que cette loi avait fait l’objet d’une large concertation avec toutes les organisations de presse. Les nombreux journalistes présents dans la salle n’avaient pas protesté.
Maintenant que vous avez compris pourquoi la dépénalisation du délit de presse n’a pas joué dans le cas d’espèce, allons vers le code pénal et analysons deux articles de ce dernier : le 490 qu’on a abondamment relayé pour justifier l’interpellation, et le 497 qui a été décrié en 2015, comme étant une atteinte à protection des journalistes.
Article 490 : Constituent des outrages envers les représentants de l’autorité publique, le fait par paroles, écrit, geste, images, objets ou message enregistré non rendus publics d’injurier ou outrager dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de cet exercice un magistrat, un fonctionnaire public ou tout autre citoyen chargé d’un ministère de service public.
Constituent des outrages au drapeau ou à l’hymne national, tous actes, paroles ou gestes de nature à porter atteinte au respect et à l’honneur qui leur sont dus.
Article 497 : La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle trouble la paix publique, ou est susceptible de la troubler, est punie d’une peine d’emprisonnement de six (06) mois à deux (02) ans et d’une amende de cinq cent mille (500.000) à deux millions (2.000.000) de francs CFA ou de l’une de ces deux peines.
L’auteur des nouvelles fausses visées à de ces deux peines.
L’auteur des nouvelles fausses visées à l’alinéa précédent est puni d’une peine d’un (01) à trois (03) an(s) d’emprisonnement et d’un million (1.000.000) à trois millions (3.000.000) de francs CFA d’amende ou de l’une de ces deux peines.
Lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction faite de mauvaise foi est de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l’effort de guerre de la Nation, la peine est d’un (01) à trois (03) an(s) d’emprisonnement et d’un million (1.000.000) à trois millions (3.000.000) de francs CFA d’amende.
TROISIEME COMMENTAIRE :
Le procureur se serait fondé sur l’article 490 pour justifier l’interpellation des journalistes, et l’article 497 constitue le fondement juridique du mandat de dépôt, en attendant le procès, bien évidement. Voilà donc pourquoi les journalistes sont aujourd’hui en prison, au lieu d’être protégés par la dépénalisation du délit de presse.
Mais attention, comme je l’ai expliqué en début de cet article, je ne justifie nullement la mise en détention préventive des journalistes, mais j’explique pourquoi selon moi la dépénalisation du délit de presse n’a pas joué. C’est aux avocats de déterminer les angles d’attaque. Je ne fais ici que de la pédagogie, sur la base des informations glanées ici et là.
Pour moi, les avocats doivent introduire rapidement une demande de mise en liberté, et j’espère que le juge d’instruction accèdera à cette démarche, afin que notre démocratie continue de balbutier, à défaut de l’exclamer. Mais au même moment, je comprends que des concitoyens soient parfois meurtris, dans leur esprit comme dans leur relation avec leur famille et proches, par certaines libertés prises avec la liberté de la presse.
Utilisée sans modération, cette liberté s’insinue dans les tréfonds de la vie privée, fait sauter les barrières de la courtoisie et de l’éthique. Les excès dont je parlais dans mon introduction font parfois le lit de l’injure et de l’outrage gratuit, de la calomnie et du mensonge. Autant le droit protège le journaliste dans l’exercice de ses fonctions, autant le citoyen lambda doit avoir la garantie que sa vie privée, son honneur et son intégrité ne peuvent pas être bafoués impunément.
Le premier principe de l’état de droit est que le droit justement protège tout le monde. Parfois, nous autres citoyens, avons aussi l’impression qu’un journaliste peut tout dire sur nous, sans limite aucune, bien à l’abri de la dépénalisation du délit de presse. Pour moi, l’équilibre entre ces deux protections s’appelle déontologie.
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Bref, j’ai fait ce long article pour être utile, pour apprendre quelque chose de plus à mes lecteurs. Pour éviter d’être comme ceux qui se gargarisent derrière des communiqués de presse juste pour se donner bonne conscience et bien paraitre. Si quelqu’un veut la libération de Ferdinand Ayité, qu’il aille manifester, et s’il respire du gaz lacrymogène, c’est déjà quelque chose de concret. Ou alors qu’il rassemble des sous pour constituer un collectif d’avocats pour soutenir un peu plus sa défense. Et founoufa.
Je sais que mes habituels détracteurs vont encore m’attaquer. Mais vous savez qu’à ce sujet, manba Kalwa ! Je m’en fous un peu. Et puis quand je fais une semaine sans être critiqué, je m’ennuie.
Et vous donc, amis lecteurs, dites-moi ce que vous pensez de cette histoire ? Avez-vous compris les explications données ici ? Vos avis m’intéressent. Enfin, pour ceux qui ont tout lu. Les commentaires des juristes sont particulièrement attendus.
Mettez Ferdinand en liberté et on va quitter ici. Vivants.
Gerry